UNICEF RDC IDP Ituri Camp Loda

Ituri : une situation alarmante pour les déplacés, notamment pour les femmes et les enfants.

La province de l’Ituri en République Démocratique du Congo, est marquée depuis plusieurs années par des conflits intercommunautaires ayant engendré un fort mouvement des populations et de nombreux cas de violations des droits humains. En décembre 2019, près de 1 113 800 déplacés internes ont été recensés dans cette province dont 651 750 enfants [1]. La population, fuyant les attaques, s’est réfugiée dans 87 sites de déplacés ou dans des familles d’accueil. 48 sites sont gérés par l’OIM et le UNHCR, et 39 sites sont dits informels[2], car installés dans des écoles, des églises et des édifices publics. Que ce soit dans les camps ou dans les familles hôtes, les conditions de vie pour les personnes déplacées y sont très précaires et souvent insécuritaires.

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Le village de Kalo dans la province de l’Ituri en RDC, a été complètement détruit lors d’une exaction par les groupes armés. ©UNICEF/Desjardins

 

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Gaston, Raymond et Jean-Pierre, village de Kalo dans la province de l’Ituri en RDC ©UNICEF/Desjardins

Le village de Kalo, actuellement abandonné, a vu sa population disparaître. La place du marché et les commerces sont vides, les maisons ont été brûlées. Les habitants ont fui suite aux attaques régulières de ces deux dernières années. Gaston, le chef de localité, explique qu’avec ces attaques incessantes, les habitants ont peur de revenir chez eux. Sur cet axe routier, de nombreux villages sont complètement détruits, et de nombreuses personnes ont péri n’ayant pas pu fuir lors des exactions des groupes armés. Les survivants sont partis s’installer, comme Gaston, dans des villages voisins ou bien ils se sont regroupés dans des camps de déplacés.

 

Jean de Dieu, est arrivé au camp de Linzi 1 avec sa femme Espérance et ses 6 enfants. La petite dernière, Marie-Chantal 7 mois, n’a pas connu ces attaques car elle est née dans le camp. Jean de Dieu précise qu’il a fui la guerre et non pas une attaque ponctuelle. Il connaît ce conflit intercommunautaire entre les Hema et les Lendu depuis les années 2000. Les assaillants, armés de fusils et de machettes, obligent la population à fuir et à abandonner leurs maisons et leurs champs. Jean de Dieu a perdu sa ferme et ses chèvres. Maintenant, pour subvenir aux besoins de sa famille, il travaille avec sa femme et une partie de ses enfants dans les champs du village qui les accueille. Ils sont payés à la journée, entre 1000 et 1500 francs. Jean de Dieu avait une situation prospère et n’avait pas envisagé cette vie précaire pour sa famille.

Rosaline leur voisine, a vu son frère se faire tuer violemment à la machette par des miliciens. Elle n’a plus de nouvelle de son mari qui a des problèmes de santé mentale. Lorsqu’il a fallu fuir, Rosaline n’a pas réussi à partir avec lui. Elle explique la difficulté de fuir avec des enfants en bas âges, mais surtout l’impossibilité pour des personnes âgées, malades ou handicapées de réagir et de se déplacer rapidement lors d’une telle situation. Elle ne comprend pas pourquoi il y a tant de violence dans cette région, pourquoi certaines communautés agressent et tuent leurs voisins. Depuis son arrivée au camp, il y a deux ans, elle n’est jamais retournée dans son village d’origine par peur de revivre les mêmes attaques.

Dans les sites de déplacés, les conditions sanitaires sont très difficiles. L’insalubrité et l’accès à l’eau restent de grands défis. Faute d’infrastructures certaines personnes utilisent directement l’eau des rivières, n’ont pas accès au savon, ni aux latrines. De nombreux enfants ont des plaies ouvertes et infectées sur le visage et le corps. Selon MSF, chez les enfants de moins de cinq ans arrivés dans la zone de santé de Nizi au printemps 2019, les taux de mortalité sont trois fois supérieurs aux seuils d’urgence. Cette même année, il y a eu 11 000 cas de rougeole. Love, 15 ans, explique que son père est décédé dans le camp où ils ont trouvé refuge à la suite de la malaria et à une mauvaise prise en charge médicale faute d’argent. Ce n’est pas le seul choc qu’elle a subi ces deux dernières années. Lors de sa fuite à pieds en direction de Bunia, Love a vu de nombreux cadavres sur le bord de la route. Le soir, Love n’aime pas trop sortir de son abri au camp, car elle a peur, surtout quand les gens crient. Après ces événements traumatisant et ses conditions de vie actuelle, elle explique qu’elle a du mal à dormir et à être heureuse tous les jours.

Dans les territoires de Mahagi et de Djugu, 257 000 enfants sont atteints de malnutrition. Cette insécurité alimentaire expose parfois ces enfants à la mendicité. Dans la ville de Bunia, de nombreux enfants, souvent très jeunes, errent dans les rues toute la journée à la recherche d’argent ou de nourriture. A l’intérieur des camps, les enfants en bas-âges transportent leurs petites timbales en métal toute la journée, en espérant recevoir leur ration de bouillie. Chantal, qui a trouvé refuge dans le camp de Loda, évoque le manque d’infrastructures, de nourriture et l’insécurité qu’elle ressent. En montrant son lieu de vie, elle précise que sa case en paille est trop petite pour sa famille de 5 personnes et qu’ils n’ont même pas de matelas pour dormir. Son plus grand souci est de pouvoir nourrir ses enfants car les distributions alimentaires ne sont pas arrivées depuis des mois. Malgré le danger, elle est obligée de retourner aux champs pour essayer de cultiver. Là-bas, les attaques y sont fréquentes, et parfois les gens n’en reviennent pas. Elle témoigne qu’il y a des cas de vols et des violences dans le camp, notamment vis-à-vis des femmes qui subissent des viols. Le camp regroupe actuellement 2560 personnes dont 1500 enfants.

Pour survivre, de nombreuses femmes et jeunes filles pratiquent « le sexe de survie ». Pour un peu d’argent, elles vendent leur corps et subissent souvent des violences sexuelles. Le nombre de très jeunes filles enceintes et les mariages précoces ont fortement augmenté. Cette crise accroît la vulnérabilité des femmes qui sont les plus exposées aux violences basée sur le genre. De janvier à octobre 2019, 3090 cas de VBG ont été enregistrés dont 1007 dans le territoire de Djugu. De nombreuses femmes témoignent des agressions qu’elles ont subies lors des attaques de leurs villages ou encore sur le trajet qu’elles ont parcouru lors de leur fuite. Comme Dina, 66 ans, qui insiste sur le fait que les femmes souffrent beaucoup plus que les hommes dans ce conflit. Elle est toujours choquée d’avoir vu et vécu des situations de violence sexuelle aussi atroces. Sans pitié ni honte, devant les enfants, les hommes armés déshabillent les femmes et les jeunes filles pour les violer, en tuer certaines et parfois kidnapper leurs enfants. L’impact humanitaire de cette crise sur les enfants est extrêmement préoccupant. 3857 incidents de protection ont été répertoriés, avec notamment des cas de meurtres et mutilations d’enfants, violences sexuelles, physiques et psychologiques, enlèvements et recrutements forcés.

UNICEF_RDC_Bunia_Victimes_VBG_Sifa_Joetham_2« Je viens d’accoucher de mon premier enfant, il s’appelle Joetham. Trois jours après moi, ma mère a mis au monde une petite fille, son cinquième enfant et donc ma nouvelle petite sœur. Ma famille se retrouve maintenant avec deux bébés issus d’un viol que nous avons subi lors de l’attaque de notre village. »  Sifa, 17 ans.

En mai 2019, Sifa et sa mère ont subi des violences physiques et un viol par des hommes armés. Sifa a été lourdement traumatisée par son agression. Elle n’avait plus envie de vivre, elle n’arrivait plus à dormir ni à manger, elle avait perdu toute énergie physique et mentale. Elle a donc été prise en charge psychologiquement. La rencontre avec d’autres victimes, lui a permis de partager son histoire et de reprendre espoir. Elle se concentre maintenant sur sa scolarisation, son avenir et celui de son enfant. Elle espère que celui-ci ne sera pas stigmatisé plus tard par la communauté, dû à son histoire. Elle souhaite étudier à l’université et devenir infirmière, pour à son tour, pouvoir soutenir des personnes ayant subi des violences.

De nombreux enfants voient leur scolarité s’interrompre du fait des déplacements massifs de la population, de la destruction des écoles, mais aussi de l’occupation de certaines structures scolaires par les forces de sécurité ou par l’installation de camps de déplacés informels. On estime à près de 60 000 le nombre d’enfants actuellement déscolarisés dans le territoire de Djugu et à plus de 150 écoles ne fonctionnant plus[3]. Pour les enfants déplacées, l’accès à l’école est inégalitaire. Les écoles publiques sont surchargées et n’acceptent parfois plus d’enfants. Les frais de scolarité des écoles payantes ne peuvent pas être pris en charge par toutes les familles. En 2019, UNICEF a pu assister 70 écoles, mettre en place 240 salle de classes temporaires, distribuer 587 kits scolaires pour les enfants, 140 kits pour les enseignants et 140 kits récréatifs dans le territoire de Djugu. 22 554 enfants ont pu bénéficier de cet appui et ainsi continuer leur scolarité.

L’exposition des enfants à des violences extrêmes et des atrocités accroît les besoins en appui psychosocial et santé mentale. L’UNICEF met en place des espaces dédiés aux enfants où ils peuvent se rassembler, jouer, apprendre ou bénéficier d’assistance psychosociale. 19 Espace Amis d’Enfant sont actuellement fonctionnels dans le territoire de Djugu et dans la ville de Bunia. Ces espaces permettent de recenser les enfants non accompagnés, d’apporter un soutien psychologique et des activités récréatives via des jeux, des projections de films, l’organisation de chants et de danses. Ces espaces servent aussi à sensibiliser les enfants aux pratiques essentielles telles que le lavage des mains, l’utilisation de la moustiquaire ou à la prévention vis-à-vis des épidémies comme la maladie à virus Ébola. Grâce Malosi Dhedza, point focal des Espace Amis d’Enfant de Bunia, évoque le fait de ne pouvoir mettre en place certaines activités par manque de moyens ou de personnel. L’afflux des déplacés étant continuel et le manque de moyens criant, les Espaces Amis d’Enfants sont surchargés et manquent souvent d’infrastructure ou d’encadreurs pour gérer la totalité des enfants. Plus de 800 enfants non accompagnés ont été enregistrés entre le mois de mars et le mois de novembre 2019 dans les territoires de Djugu et de Mahagi[4].

Cette situation alarmante a conduit le Haut-Commissariat aux droits de l’homme à évoquer un crime contre l’humanité dans cette région de la RDC[5]. Le rapport établis, documente particulièrement de nombreux cas d’enfants tués, mutilés, persécutés et kidnappés, ainsi que de nombreuses femmes ayant subi des violences sexuelles. Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés, depuis février 2018, près de 57 000 personnes se seraient réfugiées en Ouganda et plus de 556 000 vers les territoires voisins.

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[1] Personnes déplacées internes et retournées – décembre 2019 : humanitarian response operations RDC
[2] Cluster Protection RDC : Djugu, analyse protection des civils
[3] Sous cluster de l’enfance en RDC – réponse humanitaire
[4] Rapport cluster Protection RDC : Crise Djugu Mahagi Protection pour le HAG du 7/02/2020
[5] OHCHR RDC Rapport public Djugu