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Partir pour réussir : quand la passion du football vire au cauchemar

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« J’ai vu un ami rentrer de je ne sais quel pays, et revenir avec beaucoup d’argent. Je ne sais toujours pas ce qu’il a fait pour avoir autant d’argent. J’ai été séduit par sa réussite. Il m’a parlé du foot en Mauritanie et de l’argent que l’on pouvait gagner, j’ai décidé de lui faire confiance et de partir. Depuis je n’ai jamais revu cette personne. Aucune nouvelle de lui, même avec Internet. Je pense qu’il a raconté la même histoire à beaucoup de personnes comme moi. Je voulais venir en Mauritanie pour pouvoir moi aussi améliorer ma condition de vie.»

Le football est ce qui passionne Emmanuel*, un jeune ivoirien de 17 ans, mais c’est aussi ce qui a fallu lui coûter la vie. L’image du footballeur qui réussit dans les grands clubs, la gloire et la célébrité attirent de nombreux jeunes d’Afrique de l’Ouest et devenir une star du ballon rond est un rêve pour des milliers de jeunes comme Emmanuel. Des réseaux de passeurs profitent de ce vivier de jeunes sportifs pleins de rêves pour s’enrichir. Leurs discours sont bien rodés, le ton est rassurant. Tout est pris en charge en échange « d’un peu d’argent » : le voyage, les faux-papiers. Une fois partis, les jeunes mentent sur leur âge pour pouvoir accéder aux compétitions réservées aux jeunes talents mais bien loin des promesses de succès et d’argent faites par leurs passeurs rapidement convertis en « agents », les jeunes sont abandonnés dans un pays qu’ils ne connaissent pas, souvent en situation irrégulière et sans que la famille ne soit au courant. « Le voyage pour venir à Nouakchott était pénible mais pour moi ce n’était pas grave car Nouakchott c’était la Terre promise. J’ai vite perdu le sourire en descendant du bus. J’ai vu un homme avec un bâton frapper son âne. J’étais souriant en arrivant mais en voyant l’âne qui hurlait, je ne souriais plus du tout. J’ai eu envie de rentrer chez moi tout de suite, reprendre le bus dans l’autre sens mais je n’avais déjà plus d’argent, alors comment rentrer ? Ma vie ici était compliquée, je me suis mis à chercher du travail rapidement, je n’avais personne pour m’aider, pas de famille, pas de frères, pas d’amis. J’étais livré à moi-même,” se souvient Emmanuel.

 

Jean mimant son activité favorite dans le centre d’accueil et d’hébergement de l’association AFCF à Nouakchott.

 

D’autres jeunes sportifs sont entrés en toute légalité en Mauritanie mais ont tout aussi déchanté. « Je suis parti en bus d’Abidjan, je suis passé par Bamako puis je suis arrivé à Nouakchott. J’ai tous mes papiers au complet. Il n’y a pas de visa entre la Côte d’Ivoire et la Mauritanie, la personne à qui j’ai fait confiance m’a dit de prendre mon passeport et une autorisation parentale pour jouer au foot car je suis mineur,» explique Jean, un autre Ivoirien de 17 ans rencontré par l’OIM qui déchanta lorsqu’il se rendit compte qu’on lui avait menti.

« Mon ami m’avait dit qu’ici en Mauritanie le football était prometteur, j’ai vu que c’était tout le contraire, ici le foot est beaucoup moins bien que chez moi. J’ai rencontré beaucoup de joueurs qui n’arrivent même pas à manger, qui n’arrivent pas à se vêtir, après l’entraînement ils marchent longtemps pour rentrer chez eux. Sur une période de 2 mois, on peut leur donner seulement une somme de 1500 MRU ou 2000 MRU. Ça ne se fait pas chez nous en Côte d’Ivoire de traiter les joueurs de foot comme ça. La personne à qui j’ai fait confiance m’a totalement menti sur le football en Mauritanie. Ce qu’il m’avait promis n’est pas du tout ce que j’ai trouvé en arrivant ici. Si je rencontre quelqu’un comme moi, qui a le même âge que moi et qui veut venir en Mauritanie jouer au foot, je vais lui interdire. Il y a de bonnes écoles de foot en Côte d’Ivoire, il faut rester dans notre pays. »

En 2018, Jean et Emmanuel ont pu bénéficier de l’assistance au retour volontaire en Côte d’Ivoire financé par l’Initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants. « Certes ça n’a pas marché pour moi, l’aventure s’est transformée rapidement en mésaventure mais mon voyage m’a beaucoup enseigné sur la vie, je suis content de retrouver les miens au pays,» conclut Emmanuel. L’aide au retour volontaire dont ont bénéficié Jean et Emmanuel a été financée par l’Union européenne dans le cadre de l’Initiative conjointe UE — OIM pour le renforcement de la gestion des frontières, la protection et la réintégration des migrants en Mauritanie. L’Initiative leur permet de développer une activité rémunératrice une fois de retour pour faciliter leur réinsertion dans leur société d’origine.

*Les prénoms ont été changés pour des raisons de confidentialité